
Ange Richer par Yves Bourel
entretien avec Bernard Hommerie / Fougères – Octobre 2020
Ancien journaliste à La Chronique Républicaine, Yves Bourel a publié un livre étonnant de photographiques prises en Afrique avant 1914.
Ce sont des photos que nous n’aurions jamais dû voir. Pendant de longues années, elles avaient été perdues, oubliées dans des valises sous un tas de fagots dans la grange d’une ferme du pays de Fougères.
Yves Bourel, surpris par la qualité des prises de vue s’est passionné pour l’œuvre photographique et la vie mouvementée d’Ange Richer ( 1882 -1951 ).

Qui est Ange Richer ?
Ange Richer est né en 1882 dans une famille de paysans très modestes et très pratiquants à Mézières sur Couesnon (35). C’est un enfant intrépide, au fort caractère avec une vive intelligence. Un oncle prêtre le prend sous son aile et grâce à lui, il fait des études. Dans le même temps, Ange Richer est le produit de la méritocratie initiée par la toute jeune Troisième République car, malgré, ses origines très modestes, il peut intégrer l’école de médecine de la marine à Bordeaux et devenir officier.
C’est ainsi qu’il arrive en Afrique.
Oui, il est envoyé en Afrique Occidentale Française en 1908 comme médecin militaire. Un parcours, somme toute banal pour un officier colonial à l’époque. Mais ce qui le distingue, c’est l’intérêt qu’il porte tout de suite aux autochtones. On peut dire qu’il est littéralement ébloui par l’Afrique, ses lumières, ses odeurs, ses musiques, ses grands espaces mais aussi ses populations. C’est ainsi qu’il se met à photographier les tribus qu’ils rencontrent, les paysages, ses camarades… Son travail dépasse le cadre de la photo souvenir, il documente véritablement l’AOF comme il s’intéressera, mais dans une moindre mesure, à l’Afrique Equatoriale Française, l’AEF. Ses photos bien composées, bien éclairées, bien cadrées, sont très vivantes. Malgré les moyens techniques très contraignants de l’époque, il emmène partout son appareil et réussit toujours à créer un lien avec les gens qu’il met en boîte. A plus d’un siècle de distance, ses images qui n’ont rien perdu de leur fraicheur sont souvent bouleversantes par leur humanité.
Il s’intéresse particulièrement aux Touaregs à qui il consacre un livre.
Oui, aux Oulliminden, les Touaregs du Niger qui vivent dans la région de Tombouctou et de Gao. C’est ainsi qu’il va découvrir les fameux manuscrits de Tombouctou, rencontrer les anciens pour écrire leur histoire. Son ouvrage, préfacé par le maréchal Joffre (qui a conquis Tombouctou quelques décennies plus tôt) est publié en 1924 et rencontre un vif succès auprès de tous ceux qui s’intéressent au Sahel et à ses populations. Ange Richer fait partie de ses officiers, nombreux, qui, au-delà de la politique coloniale, s’intéressent réellement aux populations, à leur histoire, à leurs coutumes… C’est ainsi par exemple qu’il échange avec le Père de Foucauld qui publie le premier dictionnaire français touareg.
Il s’inscrit quand même bien dans la politique colonialiste de l’époque
Bien sûr, il croit que l’Occident doit en quelque sorte apporter la civilisation au monde. Mais ces militaires coloniaux sont aussi des découvreurs et des bâtisseurs… Ce sont eux qui fondent la ville de Dakar comme Lyautey imagine un peu plus tard la ville nouvelle de Casablanca au Maroc. L’exploitation économique de l’AOF ou de l’AEF viendra plus tard et se soldera d’ailleurs par un échec. Tout au moins au départ.

Cette politique est aussi violente vis-à-vis des populations.
Effectivement, la pacification comme on l’appelle ne va pas de soi. Par ailleurs, pendant la guerre de 14-18, un vaste soulèvement affecte tout le sud saharien, les rebelles pensant que l’heure de leur libération était arrivée. Elle est impitoyablement réprimée. Ange Richer l’évoque dans son livre en la justifiant. Par ailleurs, la violence s’incarne aussi dans la politique de recrutement des troupes indigènes qui participeront largement à la guerre en Europe.
Vous dites que la redécouverte des images d’Ange Richer relève d’un petit miracle.
Effectivement, Ange Richer, n’ayant pas fondé de foyer, ses archives ont été dispersées ou détruites après sa mort en 1951. Un de des arrière petit neveux, Pierre Berhault, sentant que ce tonton qu’il n’avait jamais connu était singulier, a réussi, enfant, à préserver quelques caisses dans lesquelles on a retrouvé des centaines de plaques de verre. Un vrai trésor à mon avis tout à fait comparable au travail des frères Géniaux en Afrique du Nord, ses aînés de quelques années, exposés actuellement au Musée de Bretagne ou à celui des opérateurs de Pathé ou des Archives de la planète qui, à la même époque, parcourent le monde pour le documenter
Comment avez-vous opéré pour reconstituer son parcours ?
Pour des raisons qui m’échappent, Ange Richer n’est pas vraiment honoré dans sa famille qu’il ne cessera d’aider pourtant. Je pense que les uns et les autres n’avaient pas grand-chose à se dire, qu’ils vivaient sur des planètes différentes. Il a été facile de reconstituer son parcours militaire grâce aux archives de l’armée. Après, c’est un peu plus compliqué. On dispose surtout de courriers envoyés aux uns et aux autres, de rares témoignages…. Après la guerre de 14, Ange Richer, victime de maladies tropicales, entreprend des études de radiologie à Paris tout en peaufinant son livre. Mais alors que l’armée lui propose de partir en Indochine en 1925, il décide de prendre sa retraite. A mon avis, comme un certain nombre d’observateurs à l’époque (Malraux, Gide, Viollis…), il sent la volonté d’émancipation des peuples opprimés qui commence à se manifester partout, aussi bien en Afrique qu’en Indochine, et comprend probablement que la colonisation n’a pas d’avenir. Ce qui a été passionnant dans mon travail, c’est aussi de revisiter toute une époque dont Ange Richer a été le témoin : l’Afrique coloniale, la Première Guerre mondiale, le Paris des Années folles, la découverte du communisme en URSS, la guerre du Rif au Maroc, la guerre civile en Chine, l’invasion des Japonais, le triomphe de Mao en 1949…

Après sa carrière militaire, il commence une nouvelle vie en Chine
On ne connaît que très peu de choses sur sa vie à Paris dans les années vingt jusqu’à son départ pour la Chine fin 1927. Il a 46 ans alors, ce qui n’est plus tout jeune pour l’époque. Grâce aux Jésuites, très implantés dans ce pays, il part pour Shanghai travailler dans un hôpital et enseigner. Il y restera jusqu’à l’arrivée au pouvoir des communistes en 1949. Dans un pays alors en plein chaos, il découvre la corruption, assiste à l’invasion japonaise et au triomphe des communistes… Au sein de la petite colonie française où on trouve beaucoup de Bretons, Ange Richer publie un journal dans lequel il règle ses comptes avec un peu près tout le monde. Les quelques exemplaires qui nous sont parvenus sont pratiquement les seuls documents dans lesquels il exprime ses convictions, ses valeurs… Celles d’un croyant d’abord mais aussi celles d’un redresseur de torts, d’un homme qui croit au travail, au mérite, à la justice… Il répète souvent qu’il s’est fait tout seul, que l’ignorance est la porte ouverte à la misère… C’est manifestement quelqu’un qui a soif de reconnaissance.
Il y a un peu de Tintin en lui.
Oui, Ange Richer est avant tout un aventurier curieux du monde, célibataire comme Tintin. Cette quête-là est probablement son carburant. Toute sa vie, il ne cessera en effet de voyager sans, curieusement, jamais retourner en Afrique. Il visite l’Espagne et le Portugal avant la guerre de 14, passe une quinzaine d’années en Afrique et une vingtaine en Chine. Mais on le retrouve aussi en Scandinavie et en URSS fin 1927, au Japon ou aux USA en 1935. Peut-être aussi que le voyage s’apparente chez lui à une forme de fuite en avant. A bien des égards, Ange Richer reste pour moi un mystère, un vrai personnage de roman. En somme, ce livre est tout ce qu’il reste de lui soixante-dix ans après sa mort (il décède d’une crise cardiaque en 1951 et est enterré à Saint Marc sur Couesnon).
( Entretien avec Bernard Hommerie / Fougères – Octobre 2020)

Ange Richer, journal d’Afrique (1908-1925).
Yves Bourel
Contact : imagesauxquatrevents@orange.fr
En vente à Fougères, Librairie Mary et Maison de la Presse / Rennes, Librairie Encre de Bretagne

Ange Richer
